Un prophète

L’islamophobie est tellement répandue que le système produit des attentats pour pouvoir détester les musulmans plus facilement : telle est la nouvelle thèse de Monsieur Mélenchon. Jusqu’à présent le leader de la France dite Insoumise s’était contenté d’accuser le gouvernement français des crimes commis au nom d’Allah. Lassé d’excuser les islamistes après coup, Monsieur Mélenchon a décidé de frapper fort : les excuser avec un temps d’avance. C’est sa manière à lui d’avoir raison.

Comprenons bien le problème de Monsieur Mélenchon. Le leader de la France Insoumise n’est pas en guerre contre l’islamisme, mais contre le fait d’avoir tort. C’est pourquoi les Français n’apprendront rien sur le prochain attentat : rester dans le vague, voilà encore la meilleure façon de ne pas se tromper. L’important n’est pas de dévoiler l’identité exacte du circuit ou du commanditaire, l’important est que notre homme puisse jeter à la face du monde cette phrase qui l’obsède, la phrase qui le dévore, celle qui le vengera enfin de ses adversaires, de son futur échec, et, pour finir, du réel : “je vous l’avais bien dit”.

Défense de Patrick Besson

Abstract :

Affublant Eva Joly d’un accent allemand (« Zalut la Vranze ! »), le romancier et chroniqueur au Point Patrick Besson est accusé, notamment par Madame Cécile Duflot, de céder aux sirènes du racisme.

Ce qui est drôle avec les gens qui n’ont pas d’humour, c’est qu’ils n’ont pas peur de le faire savoir. S’ils avaient ri, tout irait bien; mais comme ils n’ont pas ri, ils peuvent réclamer des comptes au rieur au nom des principes les plus arrêtés de la République française.

Le scandale qui fait suite à l’article de Patrick Besson sur Madame Eva Joly dans le Point nous permet d’établir la chose suivante : dans une société victimaire, l’homme qui n’a pas ri fait la loi. Tous les hommes sont égaux, mais ceux qui n’ont pas d’humour sont plus égaux que les autres.

Il ne suffit pas de se déclarer «choquée » pour avoir les grands principes avec soi. Fédérer un parti sur le dos d’un rieur est indigne. Puisque Mme Duflot demande des excuses publiques à M Besson sous prétexte que son article ne serait pas drôle, nous demandons des excuses à Mme Duflot, et toutes affaires cessantes, pour son absence d’humour.

Alain Bonnand, ou la Vertu mal récompensée.

Nous devons à Alain Bonnand le plus beau titre de la littérature française : « Les jambes d’Emilienne ne mènent à rien ». Il se trouve que ses textes sont également très bons, ce qui, naturellement, ne gâche rien.

Le testament syrien vient de sortir chez Ecriture. Ce petit livre étonne par l’amplitude de son orchestration. Certes, le lecteur sera enchanté par la richesse des notations. Dans ce reportage passionnant que l’on peut lire comme un journal d’un écrivain en Syrie, il trouvera des idées de titre,«Cimetières et perspective », des commentaires à chaud,« On tue en bas, on tue en haut à gauche, mais à Damas on se croit encore en vacances… », des précisions biographiques sur son appartement en Syrie:« Un seul voleur en quatorze ans, c’est donné », des notules sur les dictateurs :« Tirer ainsi sur les gens… est-ce bien efficace ! »

Mais il sera surtout sensible au caractère polyphonique de l’ensemble. Je ne connais guère que le grand, l’immense Marc-André Dalbavie pour orchestrer aussi finement des notes arrachées au néant. Bonnand est notre Fitzgerald, tout ce qu’il annote en passant peut être relu dix-huit fois sans perdre sa puissance d’enchantement. L’erreur à ne pas commettre serait de le réduire à un styliste. Petit maître : c’est aussi ce que l’on disait de Kafka lorsque l’auteur de « La Métamorphose » déambulait dans Prague…

Bonnand m’étonne par son éthique – rapide et sans pathos – bien davantage que par ses phrases (pourtant superbes). Etre incapable d’écrire une phrase plaintive ou malheureuse, voilà une philosophie par gros temps qui vaut bien des leçons de morale. Sommes-nous condamnés à comprendre l’importance de cet auteur après coup ? Devrons-nous attendre sa disparition pour célébrer un musicien aussi précis, aussi alerte? Je m’y refuse. Nous demandons justice pour Alain Bonnand, et nous refusons de croire à la célébrité littéraire tant que nos exigences ne seront pas prises en compte.

Le Testament syrien (Valse avec Roland), Ecriture, 2012.

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Soljenitsyne

A la question: « Pour quelles raisons Jésus est-il mort sur la croix ? », Soljenitsyne répond : parce qu’il se trouvait par hasard entre deux malfrats, et parce qu’il y avait crucifixion ce jour-là. Ce n’est pas la volonté divine mais la bêtise de l’administration romaine qui a scellé le sort dudit coupable. C’est cette partie du problème — l’aveuglement incurable de l’appareil — qu’il faut décrire, parce que c’est elle qui se répète indéfiniment.