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La liberté pour quoi faire ?
Il fut un temps où la liberté d’expression servait à soutenir des dissidents. Elle sert aujourd’hui à donner son opinion sur X. D’où l’usage droitard de l’antiwokisme, lequel dépasse en importance, et de très loin, l’opposition à Poutine. C’est que les défenseurs de la liberté d’expression ont mieux à faire que de s’opposer à une tyrannie réelle : jouer au Sakharov toutes les fois qu’un gauchiste a censuré leur texticule sur Internet — ou, mieux encore, comparer Bruxelles au goulag – procédé très pratique qui permet de ne pas s’installer en Russie tout en se plaignant de vivre au beau milieu d’une dictature.
Décorrélée de l’État de droit et de sa défense, la liberté d’expression n’a plus d’autre objet que de s’afficher en martyr d’un système médiatique mainstream qui est aux admirateurs d’Elon Musk ce que l’homme blanc de 50 ans est aux adeptes de Madame Rousseau : l’alpha et l’oméga du pire. Autant dire que le fond de l’air a changé. Les anciens défenseurs de l’État de Droit et autres nostalgiques de la Charte 77 devront s’y faire: non seulement les nouveaux defenseurs de la liberte d expression n’ont que faire des pérégrinations carcérales de Monsieur Kara-Mourza ou des essais probablement russophobes de Timothy Snyder, mais ils ont désormais un goût prononcé pour l’homme fort, et même — osons l’antiwokisme de droite — pour le potentat. (Non pas le potentat sans pouvoir qui nous sert de président, mais le potentat russe qui fascine tellement l’homme orange, celui qui élimine les terroristes le lundi et monte des ours bruns le week-end).
« La liberté, pour quoi faire ? » demandait Bernanos. Mais pour donner à la France le Poutine dont elle a besoin, voyons.

La code pénal selon Lady Gaza
C’est fait, Lady Gaza a parlé : Monsieur Sansal n’est pas arrêté en tant qu’écrivain, mais en fonction de l’article 87 (87 bis, soyons précis) du Code Pénal portant sur la sûreté de l’Etat algérien. Voilà qui nous donne une bonne idée de ce que deviendrait les droits humains entre les mains d’une telle juriste. Un arsenal mis au service de l’arbitraire, une fabrique à perquisitions pour dictature en mal de légalité. Si Boualem Sansal avait souhaité démontrer par l’absurde ce qu’il en est des islamistes dans notre beau pays, il aurait demandé à Rima Hassan de bien vouloir s’exprimer publiquement. Ériger des faux libérateurs en icônes est certainement une vieille manie chez les intellectuels français, mais il arrive parfois que l’icône se fissure au grand jour. Prétendre libérer un peuple et justifier l’incarcération d’un écrivain en ces termes est un signe qui ne trompe pas.

Artur
En convalescence quelque part entre Lviv et Vinnytsia, Artur Dron – Артур Дронь– est l’un des écrivains les plus précieux de sa génération. Son nom circule comme un secret entre les écrivains ukrainiens, et il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Tout le monde ne revient pas du front en intitulant son poème « Première Lettre aux Corinthiens » (Перше до коринтян) — tout le monde ne relit pas la Bible, à 22 ans, avec cette profondeur et cette acuité. L’Europe de l’écriture – la vraie, la plus vivante qui soit – devra, c’est l’evidence, compter sur lui.
Bientôt une traduction et un entretien.

La position
LA POSITION, by Федір Рудий
La position que nous tenons depuis plus d’un an,
m’est devenue si familière.
Je connais chacun de ses secrets,
chaque recoin et chaque histoire,
chaque fissure et chaque crevasse.
Son toucher, aérien et léger,
ses blessures et ses vêtements troués,
son rire, éparpillé entre les meurtrières,
quand le souffle brumeux du matin
enlace tendrement le chant des oiseaux
et le dépose dans mes paumes.
Et lorsqu’elle appelle la pluie
sur son lit jonché de feuilles,
ses doigts, doux comme le feutre,
retirent les éclats de shrapnel
coincés dans ses cheveux.
Et je l’entends pleurer,
tandis que ses larmes, froides comme le sommeil,
filtrent à travers la mince couverture de l’abri,
pour venir se glisser dans mon sac de couchage.
Lorsqu’un tir de mortier
recouvre la tranchée de terre,
elle nous cache silencieusement,
comme un enfant contre son cœur.
Et avec quelle patience elle endure
nos pioches, nos scies, nos pelles.
Pour que quelqu’un reste à ses côtés.
Pour ne pas rester seule.
Et si, lorsque vient l’heure de la relève, nous partons,
alors elle nous regarde tristement nous éloigner,
tandis qu’un autre groupe nous remplace.
A quel moment ai-je compris,
et pourrai-je jamais lui pardonner
sa peur de la solitude,
et les taches de sang tout au fond.
Lorsque vient l’heure de la relève,
nous partons pour la semaine,
mais celui qui, pour toujours,
reste ici –
lui tient la main.
(22.05.2024)
Trad DdN

Modeste contribution à la campagne de Donald Trump
C’est la main sur le coeur – et même le bras tendu vers de la foule – que je vous adresse, Monsieur le Président, mes excuses les plus plates et les plus sincères. J’ai toujours pensé que l’admiration devait être réservée aux soldats anonymes qui pataugent dans la boue plutôt qu’à des milliardaires qui profitent des élections pour augmenter leur fortune personnelle, mais je réalise combien cette réaction, de ma part, était petite, franchouillarde et mesquine. Conformément à mon enquête sur l’assassinat de Samuel Paty, j’ai toujours pensé que la théologie n’avait rien à faire en politique, mais je réalise aujourd’hui que cette séparation est bonne pour les Mahométans – et non pour le Dieu des Chrétiens, lequel – voyez comme les choses sont bien faites – est le seul qui existe vraiment. Parce que j’ai perdu mon temps dans les livres au lieu de faire fortune, j’ai toujours donné raison à Ezra Pound quant à sa définition de l’esclave : « l’esclave est un homme qui attend un sauveur ». Mais Ezra Pound était un fasciste, ce qui, pour ma plus grande joie et mon indicible soulagement, n’est pas votre cas. Monsieur le Président, je vous envoie ce jour un chèque de 7 euros afin de participer, moi aussi, à la fête. J’ai bien conscience que ma contribution est assez modeste, mais, comme on dit chez nous, il n’est jamais trop tard pour bien faire.

Kyiv ce matin
Kant sous le manteau
Petite conférence sur Emmanuel Kant et réponse à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? (Kyiv, 2025)
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Pour sortir Emmanuel Kant du carcan scolaire dans lequel ses ennemis entendent le maintenir, le mieux serait de remonter le fil du temps. Le mieux serait de repartir en Allemagne, dans le duché de Wurtemberg, dans les années 1780, à une époque où Kant circulait sous le manteau.
Ce n’est certainement pas en tant que penseur doloriste ou moralisateur que le promeneur de Königsberg a exercé une influence considérable sur ses contemporains. Loin de voir en lui, comme nous le faisons si volontiers aujourd’hui, un penseur puritain, les jeunes kantiens ont surtout vu en lui un contempteur de la morale chrétienne dans ce qu’elle a de plus faux et de plus étouffant. Et comment ne pas donner raison à ces lecteurs de génie (au premier chef Hegel, penseur dont nous sommes tout aussi loin d’avoir fait le tour) puisque Kant réduit toute la morale à un seul principe : l’autonomie du sujet ? Est immoral le plaisir pris à la souffrance morale, parce que ce masochisme relève, non du devoir, mais de la « pathologie ». Est immorale la volonté de se donner en exemple (voyez l’affligeant spectacle des célébrités woke…), car cette pratique suppose que le sujet n’est pas capable de trouver la loi morale en lui-même. Est immorale la volonté de gouverner les hommes par la crainte – du dictateur, de Dieu, you name it… – parce qu’elle maintient les hommes dans un état de permanente minorité. On peut se gausser de ces vieux principes (c’est effectivement la mode la plus répandue), mais il faut admettre qu’un adepte de l’hétéronomie (autrement dit un philosophe soucieux de revendiquer le droit imprescriptible d’être gouverné par un autre), aurait bien du mal à défendre son cas…
C’est en 1793, année de tous les dangers, que Kant publie « La Religion dans les limites de la simple raison ». Pour apprécier l’importance de cet opuscule, le mieux est de se rendre directement aux pages consacrées au sacrifice d’Abraham. « Qu’Abraham veuille sacrifier son fils en obéissance à l’ordre divin, c’est une conduite inacceptable du point de vue moral. Si quelqu’un croit qu’il est possible qu’un tel commandement vienne de Dieu, il doit examiner cette prétendue voix divine par rapport aux principes moraux, et si cette voix commande quelque chose qui va à l’encontre de la morale, alors il ne peut s’agir d’un commandement de Dieu. » Ce n’est donc pas à la raison de se soumettre au commandement divin, mais bien à Dieu de respecter un certain nombre de principes imprescriptibles que la raison est parfaitement en mesure d’établir simplement, et par elle-même. Ci-git l’islamisme et la farandole des assassins théo-délirants.
L’idée que la religion doit être soumise à un noyau moral constitué de prescriptions élémentaires – cette idée-là n’est pas nouvelle ; nous la trouvons, en toutes lettres, chez Spinoza. Mais ce qui est proprement révolutionnaire – au double sens que ses contemporains donneront à ce mot – c’est la référence implicite au despotisme. Il ne suffit pas de soumettre Dieu à la morale, il faut encore soumettre la morale à l’idée de droit. C’est ce réaménagement – cette réorganisation architectonique – qui importe en premier lieu chez Kant. La vraie question n’est donc pas : « Kant est-il victime d’une conception puritaine de la morale ? », mais bien : comment passe-t-on de la morale entendue au sens ordinaire du terme – tu te comporteras correctement – à la morale au sens kantien : tu affirmeras ton autonomie contre toutes les formes de despotisme que l’Histoire ne manquera pas de placer devant toi ?
Pour illustrer le caractère intempestif de cette approche, permettez-moi de faire un petit saut dans le temps en relisant les magnifiques « Manuscrits de 1844 » du jeune Marx. « Ayant réduit les besoins de l’ouvrier à l’entretien le plus misérable de la vie physique, l’industriel », écrit Marx, « n’aura de cesse que de lui donner des leçons d’ascétisme, comme si le seul destin du pauvre était, inlassablement, de se serrer la ceinture. Et Marx d’ajouter ceci : ‘le moindre luxe chez l’ouvrier lui paraît condamnable’. » En quoi cet usage bourgeois de la morale est-il particulièrement pervers ? En ceci que l’ouvrier n’est pas reconnu comme sujet de droit, mais comme un objet sub-juridique à tancer inlassablement. On pourrait reformuler la situation en termes strictement kantiens : là où l’égalité juridique est absente, la morale est immanquablement perverse.
Il suit de cette approche kantienne – approche profondément novatrice – qu’une définition purement sociologique de la morale est impuissante à comprendre sa vraie nature. Si la morale était une simple convention conçue pour tancer les individus ou pour maintenir l’espèce humaine dans un état de permanente minorité – si cette convention n’était qu’une forme de police sociale, ou, pour reprendre un terme foucaldien, si elle n’était qu’une « conduite des conduites » – alors son seul objet serait la soumission de l’homme par l’homme. Seulement voilà : non seulement cette pratique n’a aucun rapport avec la définition rigoureuse de la morale, mais elle est consubstantiellement immorale. (Comme l’écrira plus tard Jan Patocka dans son « Testament », « la morale n’est pas là pour faire fonctionner la société – mais pour que l’homme soit homme »).
Une deuxième conséquence découle de la première : ramener la morale à l’idée de droit et à l’autonomie du sujet, ce n’est pas s’enfoncer dans une vision romantique ou « métaphysique » du libre arbitre, mais, au contraire, rapporter la preuve évanescente et éternellement contestable de cette liberté à l’exercice concret de l’autonomie juridique. C’est bien pourquoi l’autonomie est une auto-nomos, une capacité de déterminer le contenu de la Loi de manière individuelle. La lutte spinoziste contre l’arbitraire trouve dans cette idée juridique un prolongement logique, puisqu’il s’agit, dans les deux cas, d’échapper à l’État paternaliste qui voit en chaque sujet un « mineur » à punir (comme si l’État était un chaperon) ou à épanouir (comme si l’État détenait la clé du bonheur). Le seul bonheur dont il sera question ici a trait à l’arbitraire et à sa limitation juridique.
Voilà qui place la question du despotisme au coeur des Lumières. Pour reprendre une formule kantienne, le despotisme « éternise la violation du droit », de sorte que l’exigence juridique doit être conçue comme une percée, un appel d’air, une forme de trouée à la surface toujours recommencée de la perversion politique.
Dans une analyse célèbre, Michel Foucault a tenté de restituer cette nouveauté. Nous lisons :
« En décembre 1784, la Berlinische Monatsschrift a publié une réponse à la question : Was ist Aufklärung ? Et cette réponse était de Kant. Texte mineur, peut-être. Mais il me semble qu’avec lui entre discrètement dans l’histoire de la pensée une question à laquelle la philosophie moderne n’a pas été capable de répondre. » Et Foucault de poursuivre : « De Hegel à Horkheimer ou à Habermas, en passant par Nietzsche ou Max Weber, il n’y a guère de philosophie qui, directement ou indirectement, n’ait été confrontée à cette même question : quel est donc cet événement qu’on appelle l’Aufklärung et qui a déterminé, pour une part au moins, ce que nous sommes, ce que nous pensons et ce que nous faisons aujourd’hui ? »
Si l’on suit Foucault, l’objectif de Kant consisterait à comprendre « comment se pose la question philosophique du présent ». Bien sûr, celle-ci peut se poser de bien des manières. On peut, tel saint Augustin, chercher dans le monde actuel les indices d’un événement à venir, événement décisif dont il nous appartiendrait de déchiffrer la venue. On peut, à la manière de Vico, développer une conception linéaire du progrès, progrès qui nous ferait passer de l’ombre à la Lumière de manière irréversible. Or, « la manière dont Kant pose la question de l’Aufklärung est tout à fait différente : ni un âge du monde auquel on appartient, ni un événement dont on perçoit les signes, ni l’aurore d’un accomplissement. Kant définit l’Aufklärung d’une façon presque entièrement négative, comme une Ausgang, une ‘sortie’, une ‘issue’. »
Jusque-là, tout va bien. Mais voici que Foucault en vient à écrire ceci : « Dans ses autres textes sur l’histoire, il arrive que Kant pose des questions d’origine ou qu’il définisse la finalité intérieure d’un processus historique. Dans le texte sur l’Aufklärung, la question concerne la pure actualité. Il ne cherche pas à comprendre le présent à partir d’une totalité ou d’un achèvement futur. Il cherche une différence : quelle différence aujourd’hui introduit-il par rapport à hier ? » Un Kant très particulier s’en dégage, lequel, débarrassé de toute considération méta-historique, serait uniquement préoccupé par la simple différence entre une époque et une autre. Cette lecture est certainement conforme à l’exigence foucaldienne de « penser autrement », mais nous voyons que cette opération dépend d’une exclusion : celle qui consiste à mentionner « d’autres textes », comme si ces « autres textes » n’avaient plus d’importance au regard de cette « actualité pure ».
Soucieux de distinguer humanisme et Aufklärung, Foucault note à bon droit que le stalinisme, lui aussi, était un humanisme. Mais il est à noter que cette remarque s’applique aussi bien à l’éthique de la différence que défend Foucault : toutes les dictatures modernes entendaient rompre avec l’ordre existant. Le stalinisme, lui aussi, entendait apporter quelque chose de nouveau – en quoi cette différence pour la différence serait-elle plus légitime ou significative qu’une autre ?
Un mot particulièrement intéressant n’apparaît jamais dans ce commentaire, un mot qui est à la réflexion foucaldienne ce que le sein de Dorine est à la pudeur de Tartuffe : cette chose honteuse, assurément indigne d’un philosophe contemporain, est écartée d’un revers de la main au bénéfice d’une critique entièrement « archéologique » et « généalogique » de soi et des autres. Ce mot – ou plutôt ce concept – c’est le droit naturel, autrement dit la capacité de juger les lois positives d’un État en fonction d’une loi qui lui est supérieure, capacité dont Kant se fait pourtant le défenseur. S’il est exact, comme le veut Foucault, qu’un philosophe « moderne » se définit par sa manière de répondre à la question « Qu’est-ce que les Lumières ? », alors cette exclusion est certainement représentative d’une situation : non de la sienne, mais de la nôtre.
Croyant faire montre de prudence, Foucault ne cesse d’insister sur les difficultés de « Qu’est-ce que les Lumières ? », mais il me semble, a contrario, que Kant fait preuve d’une très grande netteté. C’est même cette netteté que nous avons perdue dans les eaux fangeuses de la post-modernité (ce magma déplorable où des fascistes passent pour des défenseurs de la liberté d’expression et les islamistes pour des militants de la cause anti-coloniale).
De même que l’imposture morale consiste à dénier l’autonomie du sujet, le despotisme consistera toujours à transformer le citoyen en homme surnuméraire – ou, pour le dire en termes kantiens, à utiliser l’homme comme moyen et seulement comme moyen. Il n’en va pas différemment de la perversion idéologique : le mot n’est pas de Kant, mais la chose est bien là. Si les idéologues – que Kant appelle superbement les « tuteurs attitrés de la masse » – ne cessent de tabler sur la peur, sur la non-pensée, sur l’infantilisation, sur l’imbécillité des sujets, si ce calcul constitue l’essence du « pacte secret » qui donne à toutes les dictatures de s’entendre sur le dos de leurs propres sujets (voyez la Russie de Poutine ou la Corée du Nord, actuellement unies sur le front ukrainien), il n’en reste pas moins qu’un tel pacte sera toujours illégal, « quand bien même il serait entériné par le pouvoir suprême ».
Que le despotisme soit susceptible d’une définition et que cette définition soit universelle, voilà ce qui permet de répondre à la question : Qu’est-ce que les Lumières ? C’est bien cette définition à la fois temporelle et atemporelle qui importe. C’est bien cette double dimension qui confère à l’Aufklärung une signification si simple qu’elle ne perdra jamais, aux yeux de Kant, son actualité.

Les incendiaires
« J’ai toujours souhaité croire que les grandes œuvres de l’esprit étaient plus objectives que nous. Et ce sont elles qui nous jugeront. Quelqu’un a dit fort justement que ce n’est pas nous qui lisons Homère, regardons les fresques de Giotto, écoutons Mozart, mais Homère, Giotto et Mozart qui nous regardent, nous écoutent et constatent notre vanité et notre bêtise. Les pauvres utopistes, les débutants de l’histoire, les incendiaires de musées, les liquidateurs du passé sont pareils à ces insensés qui détruisent les œuvres d’art car ils ne peuvent leur pardonner leur calme, leur dignité et leur froid rayonnement. »
Zbigniew Herbert

La vengeance d’une vieille maîtresse
Vous souhaitiez faire la peau au capitalisme ? Il ne s’en portera que mieux. Vous souhaitiez moins d’Etat ? Vous en aurez toujours davantage. L’homme est déterminé par les contradictions métaphysiques de son temps, et le triomphe apparent de l’économie ne changera rien à l’affaire. Marx n’aura eu de cesse que de moquer l’idéalisme de Hegel en faveur de rapports sociaux réputés plus concrets ; c’est pourtant la métaphysique, avec ses fanfreluches et ses dentelles, qui triomphe à la fin. Il faut lire les « Principes de la Philosophie du Droit » (1820) comme on lirait l’histoire d’une femme trompée, ou la vengeance d’une vieille maîtresse. C’est aussi drôle, sanglant, et tragique.

