Note sur la bonne conscience MAGA

« Stop calling everyone you disagree with Nazi », nous apprend Konstantin Kisin après l’assassinat de Charlie Kirk — comme si le vrai courage n’était pas de venir en Russie et de le dire à Poutine. Des centaines, des milliers, des centaines de milliers d’innocents se font massacrer depuis que Poutine a entrepris la « dénazification » de l’Ukraine avec la bénédiction sanguinaire du patriarche Kirill. Et le plus fort est que la base MAGA est la première à cautionner ce crime. Et le plus fort est que son champion – j’ai nommé Donald Trump – lui déroule le tapis rouge. Et le plus fort est que Charlie Kirk lui-même a présenté les résistants ukrainiens comme des Nazis.

Je ne pense pas que l’empathie soit une erreur comme le voulait Kirk lui-même, et je présenterais volontiers mes condoléances à sa famille pour cet assassinat que rien ne justifiera jamais.

Mais il y a des limites à la bonne conscience comme il y a des limites à l’amnésie.

« There is a real world out there, and your words can make people pick up guns », poursuit Kisin afin de tirer, croit-il, les leçons de cet assassinat. Si cette vérité s’applique à bon droit à l’extrême gauche prétendument « anti-fasciste », elle s’applique tout autant aux militants MAGA qui n’ont cessé – par leurs rumeurs, par leur « travail » en ligne et par cette étonnante aptitude à reprendre tous les mensonges du Kremlin – de justifier l’injustifiable.

14.09.2025

Complotiste, moi ? Jamais !

On croit devoir répondre à la propagande bête et méchante de Poutine (« nous nous en tenons à des cibles militaires ») par une propagande plus raffinée, plus pointue. On pense que des laboratoires ukrainiens secrètement financés par l’OTAN ont pour but exprès de tuer les Russes chimiquement, par exemple. On n’ira jamais vérifier soi-même ce que l’on insinue, mais on est un grand admirateur de Tucker Carlson, alors pourquoi ne pas faire circuler cette rumeur en ligne ? L’ère de la post-vérité a sa formule, et cette formule tient en peu de mots : «Cliquons, cliquons, il en restera toujours quelque chose ».

On imagine sans mal la joie maligne de ces enquêteurs du clavier, mais un mensonge cesse-t-il d’être un mensonge parce qu’il prend l’apparence d’une révélation inédite ? C’est ce que les fans de Tucker ont l’air de croire, et personne ne les convaincra du contraire.

Voilà qui donne sa pleine actualité au mot de Montesquieu : « Il y a des imbécillités qui sont telles qu’une plus grande imbécillité vaudrait mieux ».

Des nouvelles de Lénine

Est-ce parce que les forces ukrainiennes ont repris le village d’Andriivka que les attaques sur Soumy se font plus rares depuis 24 heures ? Les Russes sont-ils trop occupés à stopper la contre-offensive qui commence à produire, côté ukrainien, ses premiers résultats ? Comme pour mettre à profit ce calme relatif, pour ne pas dire précaire, le romancier Івченко Владислав — Vladislav Ivchenko — a la gentillesse de me faire faire le tour de la ville. Il commence par le siège des nazis lors de l’occupation allemande, un bâtiment européen à la grâce ambiguë dont Patrick Modiano aurait certainement fait son affaire. (« Ni les nazis ni les soviets n’ont détruit Soumy comme Poutine est en train de le faire », tient-il à préciser.) Nous passons au plat de résistance : l’hôtel Soumy, et ce bâtiment administratif que les habitants appellent ici le « Pentagone », deux constructions dans le plus pur style soviétique. (Ces deux bâtiments brutalistes sont placés l’un en face de l’autre de manière à former, comme c’était à prévoir, une faussile et un marteau.) La place débouche sur la rue Soborna — l’ancienne rue Lenina que les Ukrainiens ont débaptisée pour les raisons que l’on imagine. Le ciel se couvre, de merveilleux nuages déchirent l’horizon, et des rafales de pluie commencent à balayer la ville d’est en ouest — ces rafales qui rendent les drones inutilisables et offrent aux pilotes, dissimulés sur les collines, l’occasion de se détendre un peu.

Photo : l’ancienne rue Lenina, 11.30am

Foreign boots on the ground : a dangerous delusion, by Roman Sheremeta

Lately there have been many talks about possible “security guarantees” for Ukraine. It’s time to cut through the noise and lay out what real assurances could look like.

1. No more illusions about russian “guarantees.”

History has shown one thing beyond doubt: russia’s promises are worthless. From the Budapest Memorandum to countless ceasefires, Moscow has broken every pledge the moment it suited them. Trusting russian “guarantees” is not diplomacy – it is self-delusion.

2. Foreign troops on the ground

Some suggest U.S. or European “peacekeepers” in Ukraine. The hard truths:

* U.S. boots on the ground are politically impossible – neither party supports it.

* Credible deterrence would require 100,000+ troops – far more than Europe could muster.

* In the event of a direct russian attack, foreign troops might withdraw rather than fight a nuclear power.

* A few thousand casualties could shatter European political will and force retreat, leaving Ukraine more vulnerable.

In short, symbolic deployments are dangerous illusions. Only a massive, long-term NATO-level commitment would work – and that’s not realistic today.

3. Arming Ukraine – the only reliable guarantee.

The most credible guarantee is a fully armed Ukraine. Not emergency trickles of aid, but long-term, institutionalized rearmament, similar to Israel’s multi-year U.S. aid packages. That means:

* Guaranteed access to modern air defenses, jets, long-range missiles, and ammunition.

* Automatic funding mechanisms, not ad hoc aid votes.

* A permanent defense-industrial partnership with the West.

This also requires building Ukraine’s own defense base. Once a major supplier in the USSR, Ukraine has now scaled up domestic production of drones, missiles, armored vehicles, and more. Sustained investment will make Ukraine militarily self-reliant.

https://www.facebook.com/roman.sheremeta.7

Exception française

« Poutine s’arrêtera là où on l’arrêtera », tel est le crédo des réalistes qui s’en tiennent aux B.A.-BA des rapports de force. Observation militaire validée par les faits, puisque Poutine a toujours répondu aux divers tapis rouges déployés sur les tarmacs les plus improbables par un surcroît de bombardements et de sauvagerie. Mais c’était sans compter la profondeur de vue de l’école réaliste française, laquelle entend faire la nique à Clausewitz en inventant quelque chose de nouveau : le machiavélisme inefficace – ou, si l’on préfère, le réalisme irréaliste. Exemple intéressant de l’exception française, le réalisme irréaliste emprunte au pacifisme sa détestation des armes et au machiavélisme son prestige. Sa formule préférée est la suivante : « Cette guerre s’arrêtera quand nous aurons enfin montré à Poutine nos bonnes intentions. » Cette philosophie n’a bien sûr aucune chance de retenir le bras vengeur du KGBiste au teint pâle – du moins permet-elle à l’extrême gauche de taper sur l’OTAN et aux amis de Monsieur Mariani de taper sur Macron – ce qui prouve que son intérêt idéologique n’est pas tout à fait nul.

Dans cette foire à la détestation, la bonne nouvelle est que les Français continuent de soutenir majoritairement la défense diplomatique et militaire de l’Ukraine. Il va sans dire que nos bons ironistes se dépêcheront de critiquer ce résultat suivant l’adage bien connu (« I do not believe in statistics unless I have falsified them myself. ») – mais une question demeure. Et si l’homme de la rue était plus réaliste que les stratèges prétendument subtils du poutino-pacifisme ? Et si l’homme de la rue était assez intelligent pour faire la part des choses entre les faiblesses de l’U.E. – faiblesses qui n’échappent à personne – et la nécessaire défense de l’Ukraine face au trio des dictateurs qui se frottent déjà les mains à la simple idée d’écraser l’Ukraine, et, au-delà, l’Occident ? Tout à la joie de maudire l’Europe, nos réalistes sont tout prêts à minimiser la dangerosité de cet axe-là, mais il semble que les Français, là encore, ne soient pas d’accord avec eux.

Je n’ignore pas que les sondages peuvent évoluer – d’autant que le plus gros reste à faire – mais le simple fait que le révisionnisme coupable de Monsieur Mélenchon soit si peu représentatif est, en soi, une bonne nouvelle. On pourrait en dire tout autant du discours violemment anti-OTAN qui anime le « décolonialisme » de gauche et le souverainisme de droite, discours qui n’a pas l’air d’obtenir le résultat escompté puisque que les Français adoptent une position qu’il faudrait presque qualifier, tant vis à vis de l’OTAN que de l’U.E, de prudemment « aronienne ». Nul doute que ce fait déplaisant passera aux oubliettes de la vie intellectuelle française d’ici peu, chaque philosophe reprenant ses convictions de départ comme si de rien n’était.

Quoi qu’il en soit, il est heureux que l’homme de la rue ne passe pas tout son temps à taper sur Macron comme si la solution aux meurtres de masse se trouvait là ; il est heureux que la question ukrainienne ne soit pas entièrement dévorée par le campisme ; il est heureux que notre boussole morale ne soit pas entièrement corrompue par des luttes de pouvoir ; il est heureux que le Français moyen – le Français comme vous et moi – sache encore faire la différence entre un criminel de guerre et un président français qui n’a toujours pas empoisonné ses opposants – sauf erreur – au polonium 210. Simple détail, qui fait toutefois la différence entre une dictature imaginaire et une dictature réelle.

2.09.2025

Ask the dust

Tu t’appelles Darina Masiuk. Tu es née en Ukraine en 1926 et tu entends rester libre. Tu as donc contre toi la police politique de la Deuxième République de Pologne, puis le NKVD, puis les Einsatzgruppen, puis la Gestapo, et finalement le KGB – agence dont Poutine est, bien sûr, le dernier avatar.

Parce que les bureaucrates aiment faire les choses correctement, tu passes par l’atelier photographique, avec ses pinces en fer et ses étiquettes froidement pharmaceutiques ; puis vient l’interrogatoire. Tu entres dans la salle des investigations, avec son tabouret, ses deux tampons, et cette photo du grand Staline qui sourit légèrement (à ton intention ?). Comme tu attends le droit de prendre la parole dans le vain espoir de défendre ton cas, tu jettes un œil sur la machine à écrire. Cette machine fait la fierté du bourreau et elle continuera de trôner sur la table lorsque des Juifs, promis au même sort que le tien, porteront ton cadavre dans la fosse commune.

Il se trouve que, par le plus étrange et le plus grand des hasards, tu survivras aux séances de torture et à la disparition de tes camarades. Plus tard, beaucoup plus tard, des jeunes viendront t’interroger, et tu leur diras simplement ceci : « Nous voulions rester libres. Nous étions jeunes et très heureux. »

Lviv, prison de Lomsky, 2025.

Photos : DdN

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Kyiv en trois jours

« Je vous l’avais bien dit », expression préférée de tous ces politistes qui nous expliquent que l’Ukraine a perdu la guerre sous prétexte que l’Amérique vient de lui planter un couteau dans le dos.

Je signale à toutes fins utiles que Poutine voulait prendre l’Ukraine en trois jours.

Je signale à toutes fins utiles qu’il n’a conquis qu’une partie réduite du territoire ukrainien malgré une écrasante supériorité numérique, et que Moscou n’a toujours pas placé le pantin de son choix à la tête de l’État.

Je signale à toutes fins utiles qu’il ne faut pas confondre l’envoi de matériel militaire et le fait de se battre dans les tranchées après avoir embrassé sa femme ou son enfant.

La guerre est la poursuite de la politique par d’autres moyens, et si la politique visait à ramener le « petit frère » ukrainien à la maison, alors cette guerre est définitivement perdue.

Je comprends bien ce que la résistance d’un peuple peut avoir d’insupportable pour tous les commentateurs qui, depuis le début, ont pris le parti le répéter les mensonges du KGBiste est-allemand, mais les vautours devront attendre avant de festoyer sur la conquête néo-soviétique la plus abjecte du XXIe siècle.

Je place en exergue un court poème de Vasyl Mulik, pilote et poète, sorte de réponse de l’envoyé à l’envoyeur. Le lecteur retrouvera son témoignage très bientôt dans le reportage que je prépare ici sur les écrivains au front. Excusez-les d’être héroïques – ce n’est pas de leur faute – ils ne peuvent pas faire autrement.

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Київ за три дні…

За три тижні…

За три місяці…

За три роки…

Як діла, хуєсоси?

Kyiv in three days…

In three weeks…

In three months…

In three years…

What’s up, fuckers?

Déclinaison grammaticale.

On pénètre une culture par la subtilité de sa grammaire. Dans la langue du pays où je réside actuellement, les noms, les pronoms et les adjectifs se déclinent selon sept cas grammaticaux. Parmi les plus intéressants figure l’instrumental. Ce cas est essentiel en ukrainien pour exprimer le moyen par lequel une action est accomplie – mais il est également employé avec certains verbes spécifiques. Ainsi du verbe « відчувати », lequel signifie « ressentir », et qui appelle ce cas grammatical – précisément parce que ressentir quelque chose, c’est devenir un instrument ; mieux encore, c’est faire de soi-même un instrument au sens musical du terme. On dira donc « Я відчуваю себе живим » (« I feel alive») pour exprimer cette transformation de soi dans le sens de la vie.