Du mensonge à la violence

On se demande pourquoi Poutine dépense autant d’argent sur les réseaux sociaux alors que les intellectuels français assurent d’eux-mêmes le service après-vente de ses mensonges. Prenez Barbara Lefebvre – l’historienne des Grandes Gueules – laquelle déclare tout de go : « je suis désolée, la Crimée a toujours été russe. »

Madame Lefebvre a bien raison d’être désolée de penser ce qu’elle pense, parce qu’il est aussi arbitraire de faire débuter l’Histoire de la Crimée à 1783 (date de l’annexion russe) que de faire commencer l’Histoire de France au règne de Louis XVI. La politiste Alexandra Goujon, maître de conférences à l’Université de Bourgogne et grande historienne de la région, a consacré tout un chapitre à ce poncif idéologiquement orienté dans son ouvrage, « L’Ukraine, de l’indépendance à la guerre » (p. 75 et suivantes). C’est justement parce que les Russes étaient minoritaires en Crimée que Staline a fait déporter les Tatars dans des wagons à bestiaux afin qu’ils aillent mourir plus tranquillement en Sibérie. Évidemment, une fois qu’on a déporté les non-Russes (Grecs, Arméniens, Italiens, Bulgares) à l’aide du NKVD, on peut aboutir à la conclusion que la Crimée a toujours été russe.


On dira que « les Russes » sont aujourd’hui majoritaires – à ceci près que la majorité des votants en Crimée a validé le rattachement à l’Ukraine – et non à la Russie – en 1991 (la Crimée obtenant ainsi un statut autonome au sein de l’Ukraine indépendante). Le vote n’étant pas basé sur des critères ethnicistes (contrairement au regard poutinien que l’on porte aujourd’hui sur la question), il était tout à fait possible d’être Tatar « de souche » et de nationalité ukrainienne. Et c’est précisément parce que l’expression démocratique ukrainienne est si contraire à la splendeur soviétique perdue que Poutine a cru bon de divulguer cet autre mensonge : qui dit russophone dirait pro-Russe ou pro-Poutine.

De même qu’on ne peut pas être au four et au moulin, on ne peut pas faire le jeu du Kremlin et servir la vérité. Madame Lefebvre aime à se présenter comme historienne, ce qui est peut-être vrai au sens strictement salarial du terme mais demeure une énigme pour tous les spécialistes authentiques de la Crimée. On trouvera ses arguments convaincants, à condition de ne pas s’intéresser au sujet et de ne jamais ouvrir un livre d’Histoire.

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