Joie secrète

Parce que l’intégrité importe moins, dans mon pays, que le brio intellectuel, on s’est passionnément gaussé d’Albert Camus, mais il est une illusion fascisante dont il nous a montré la perfidie comme personne — et c’est le mythe de l’isolationnisme. En politique étrangère – je reprends à dessein la petite musique des poutinophiles – les bonnes intentions produiraient toujours le contraire du résultat attendu. Qui veut faire l’ange fait la bête , vont répétant les réalistes qui entendent séparer politique étrangère et morale. Mais qui veut faire la bête fait la bête aussi — et c’est ce que nos réalistes oublient toujours de préciser.

L’article a pour objet la normalisation du général Franco par la classe politique européenne. Camus note que ses anciens partisans y voient un geste de simple bon sens, comme si les fascistes d’antan obéissaient, en cela, à une simple règle diplomatique. Mais qui peut croire que ce réalisme n’est pas une politique ? Et qui peut croire que cette politique n’a pas pour but de favoriser, en Europe, l’essor de l’autoritarisme ?

Voilà sans doute ce qui explique que Donald Trump soit passé, chez les zélotes de l’évangile MAGA, pour un isolationniste. Outre que cet isolationnisme est contredit par les faits — voyez les bombardements en Iran — ce mythe a surtout pour fonction de masquer sous des dehors de respectabilité intellectuelle la joie de tous ceux qui, en secret, se réjouiraient d’une victoire de la Russie en Ukraine. Que le plus faible se fasse enfin écraser par le plus fort — oui, que cette résistance soit enfin brisée dans le sang — et qu’on n’en parle plus.

C’est bien cette politique qui n’ose pas dire son nom — c’est bien cette joie maudite, inconfessable — que Camus entendait débusquer chez les partisans du général Franco. C’est à ce petit jeu fétide que cet article est consacré, et il n’a rien perdu de son actualité.

« L’Espagne et la Culture », 30 novembre 1952, article repris dans Actuelles, II.

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