La loi 12414 a un creusé un fossé entre les partisans de ce que j’appellerais le « tout-Zelensky » – position qui les amène à approuver tout ce que dit et fait Zelensky – et la résistance observée sur place. (Le Zelenskisme est majoritairement représenté par les observateurs étrangers de la scène ukrainienne, alors que la seconde approche est majoritairement défendue par les observateurs locaux,de Volodymyr Yermolenko à Olesya Khromeychuck, de Oleksandra Matviichuk, à Yaryna Chornohuz). On dira que les manifestations de la société civile ukrainienne – une première depuis l’invasion de 2022 – était surtout animée par des jeunes, mais comme les adultes – dans leur vaste majorité – sont au front, cette sociologie à vue d’oeil est trompeuse.
Cette leçon de démocratie à ciel ouvert n’est pas le produit d’un enthousiasme juvénile ou « idéologique » – pour citer quelques expressions en cours. Non seulement cette « fronde » n’est pas contraire à l’effort de guerre, mais elle donne aux soldats – bien davantage que cette loi qui entend mettre un terme à l’indépendance des agences anti-corruption – le sentiment qu’ils se battent pour quelque chose de juste – disons mieux : pour quelque chose à la hauteur du sacrifice consenti.
Cette chose n’est pas la « liberté » au sens abstrait du terme – mais la séparation des pouvoirs au sens juridique et concret du terme. On dira que les agences anti-corruption mises en cause par le président Zelensky étaient imparfaites : c’est évidemment le cas, puisqu’elles ont conduit à un nombre réduit d’arrestations (même si, comme le révèle цензор.нет, ces investigations ne sont pas insignifiantes). Mais il est admirable que le peuple ukrainien (sans appeler à la destitution de Zelensky, puisqu’il a été élu) soit en mesure de faire la part des choses entre l’imperfection d’une structure (qu’il souhaite évidemment rendre plus efficace) et la nécessaire séparation des pouvoirs (sans laquelle la lutte contre la corruption – ou la démocratie elle-même – est un vain mot).
Maintenant que le président ukrainien a pleinement mesuré les conséquences politiques de cette loi controversée, il nous reste à suivre le devenir exact de sa nouvelle proposition. Va-t-il corriger le tir dans le sens des manifestants, ou, comme le suggère un journaliste ami, jouer la montre ? Une chose paraît certaine : cette loi comporte un coût qui affecte l’effort de guerre dans son ensemble. Quelle que soit l’opinion que l’on s’est forgée sur l’Union Européenne, il est tout de même normal de conditionner l’aide à l’Ukraine au respect de certains critères quant à la destination finale de ces fonds. Guillaume Mercier vient de le confirmer : l’aide européenne passera de 4,5 milliards à 3,5 milliards, faute de transparence financière. Les raisons d’un tel ralentissement ne sont pas toutes attribuables à la volonté de revenir sur l’indépendance des agences anti-corruption, mais le moins que l’on puisse dire est que la loi 12414 ne va pas dans le sens d’une collaboration harmonieuse entre l’Ukraine et l’U.E.
Voilà pourquoi elle est vécue ici comme une trahison. Voilà pourquoi la colère des soldats rejoint celle des manifestants.
25.07.2025
