« Poutine s’arrêtera là où on l’arrêtera », tel est le crédo des réalistes qui s’en tiennent aux B.A.-BA des rapports de force. Observation militaire validée par les faits, puisque Poutine a toujours répondu aux divers tapis rouges déployés sur les tarmacs les plus improbables par un surcroît de bombardements et de sauvagerie. Mais c’était sans compter la profondeur de vue de l’école réaliste française, laquelle entend faire la nique à Clausewitz en inventant quelque chose de nouveau : le machiavélisme inefficace – ou, si l’on préfère, le réalisme irréaliste. Exemple intéressant de l’exception française, le réalisme irréaliste emprunte au pacifisme sa détestation des armes et au machiavélisme son prestige. Sa formule préférée est la suivante : « Cette guerre s’arrêtera quand nous aurons enfin montré à Poutine nos bonnes intentions. » Cette philosophie n’a bien sûr aucune chance de retenir le bras vengeur du KGBiste au teint pâle – du moins permet-elle à l’extrême gauche de taper sur l’OTAN et aux amis de Monsieur Mariani de taper sur Macron – ce qui prouve que son intérêt idéologique n’est pas tout à fait nul.
Dans cette foire à la détestation, la bonne nouvelle est que les Français continuent de soutenir majoritairement la défense diplomatique et militaire de l’Ukraine. Il va sans dire que nos bons ironistes se dépêcheront de critiquer ce résultat suivant l’adage bien connu (« I do not believe in statistics unless I have falsified them myself. ») – mais une question demeure. Et si l’homme de la rue était plus réaliste que les stratèges prétendument subtils du poutino-pacifisme ? Et si l’homme de la rue était assez intelligent pour faire la part des choses entre les faiblesses de l’U.E. – faiblesses qui n’échappent à personne – et la nécessaire défense de l’Ukraine face au trio des dictateurs qui se frottent déjà les mains à la simple idée d’écraser l’Ukraine, et, au-delà, l’Occident ? Tout à la joie de maudire l’Europe, nos réalistes sont tout prêts à minimiser la dangerosité de cet axe-là, mais il semble que les Français, là encore, ne soient pas d’accord avec eux.
Je n’ignore pas que les sondages peuvent évoluer – d’autant que le plus gros reste à faire – mais le simple fait que le révisionnisme coupable de Monsieur Mélenchon soit si peu représentatif est, en soi, une bonne nouvelle. On pourrait en dire tout autant du discours violemment anti-OTAN qui anime le « décolonialisme » de gauche et le souverainisme de droite, discours qui n’a pas l’air d’obtenir le résultat escompté puisque que les Français adoptent une position qu’il faudrait presque qualifier, tant vis à vis de l’OTAN que de l’U.E, de prudemment « aronienne ». Nul doute que ce fait déplaisant passera aux oubliettes de la vie intellectuelle française d’ici peu, chaque philosophe reprenant ses convictions de départ comme si de rien n’était.
Quoi qu’il en soit, il est heureux que l’homme de la rue ne passe pas tout son temps à taper sur Macron comme si la solution aux meurtres de masse se trouvait là ; il est heureux que la question ukrainienne ne soit pas entièrement dévorée par le campisme ; il est heureux que notre boussole morale ne soit pas entièrement corrompue par des luttes de pouvoir ; il est heureux que le Français moyen – le Français comme vous et moi – sache encore faire la différence entre un criminel de guerre et un président français qui n’a toujours pas empoisonné ses opposants – sauf erreur – au polonium 210. Simple détail, qui fait toutefois la différence entre une dictature imaginaire et une dictature réelle.
2.09.2025
