La liberté pour quoi faire ?

Il fut un temps où la liberté d’expression servait à soutenir des dissidents. Elle sert aujourd’hui à donner son opinion sur X. D’où l’usage droitard de l’antiwokisme, lequel dépasse en importance, et de très loin, l’opposition à Poutine. C’est que les défenseurs de la liberté d’expression ont mieux à faire que de s’opposer à une tyrannie réelle : jouer au Sakharov toutes les fois qu’un gauchiste a censuré leur texticule sur Internet — ou, mieux encore, comparer Bruxelles au goulag – procédé très pratique qui permet de ne pas s’installer en Russie tout en se plaignant de vivre au beau milieu d’une dictature.

Décorrélée de l’État de droit et de sa défense, la liberté d’expression n’a plus d’autre objet que de s’afficher en martyr d’un système médiatique mainstream qui est aux admirateurs d’Elon Musk ce que l’homme blanc de 50 ans est aux adeptes de Madame Rousseau : l’alpha et l’oméga du pire. Autant dire que le fond de l’air a changé. Les anciens défenseurs de l’État de Droit et autres nostalgiques de la Charte 77 devront s’y faire: non seulement les nouveaux defenseurs de la liberte d expression n’ont que faire des pérégrinations carcérales de Monsieur Kara-Mourza ou des essais probablement russophobes de Timothy Snyder, mais ils ont désormais un goût prononcé pour l’homme fort, et même — osons l’antiwokisme de droite — pour le potentat. (Non pas le potentat sans pouvoir qui nous sert de président, mais le potentat russe qui fascine tellement l’homme orange, celui qui élimine les terroristes le lundi et monte des ours bruns le week-end).

« La liberté, pour quoi faire ? » demandait Bernanos. Mais pour donner à la France le Poutine dont elle a besoin, voyons.

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