Swift, vite.

Comme toutes les passions conçues et promues par des intellectuels, l’enthousiasme est un mouvement apparemment rationnel dont le noyau délirant n’apparaît que plus tard. Entre les premières revues pro-quelque chose et les désillusions mortifiantes, le temps d’attente est, en gros, de trente ans. Comme tous les lecteurs de Simon Leys le savent bien, les émancipateurs du genre humain sont tellement sûrs de leur fait qu’ils n’hésitent pas, dans un premier temps, à jouer les fiers-à-bras. On pourrait comparer cette phase révolutionnaire au stade du miroir chez Lacan : le Moi grossit, il devient, croit-il, autonome. C’est cette autonomie que l’on sent frétiller chez un Geoffroy Daniel de Lagasnerie ou un Johan Faerber, par exemple.

Puis l’automne apparaît, avec son cortège immanquable de contrition et de repentance.

On lira « A Tale of a Tub Written For the Universal Improvement of Mankind » comme la meilleure introduction possible à ce genre de turpitudes. De Jack, ce progressiste aux joues pleines qu’il faudrait comparer au Tartuffe de Molière, l’auteur nous dit ceci : “le premier prosélyte qu’il fera, c’est lui-même, et une fois ce pas franchi, il n’aura plus guère de difficultés à en recruter d’autres”. Car enfin, que serait Jack sans la masse des zélotes ? Rien, bien sûr. Une fois mise au rancart la capacité d’être seul, tout est possible – surtout le pire.

Plutôt que de prêcher la bonne la parole, Swift a choisi de saisir cet enthousiasme à la racine. Toute la quincaillerie révolutionnaire y passe, depuis l’emphase universalisante jusqu’aux rivalités infra-groupusculaires. On lit, on rit, on avance dans le livre comme s’il avait été rédigé par un pourfendeur du maoïsme ou de l’écriture inclusive. Et l’on comprend, chemin faisant, à quoi sert la littérature : à nous faire gagner du temps.

Jonathan Swift, A Tale of A Tub (1704).

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